Bienvenue au Carnaval de Notting Hill, le plus grand festival carib&eacute;en d&rsquo;Europe, le deuxi&egrave;me au monde apr&egrave;s le Carnaval de Rio, et sans aucun doute celui qui marque les m&eacute;moires d&rsquo;une trace ind&eacute;l&eacute;bile.

L&rsquo;&acirc;me qui vibre au rythme des tambours. Le corps qui se laisse enivrer par de la musique ensoleill&eacute;e. Une explosion de couleurs provoqu&eacute;e par des milliers de plumes et de perles qui s&rsquo;agitent dans le ciel et sur une route peupl&eacute;e de masqueraders. Dans l&rsquo;air, des odeurs de cannabis et un parfum exotique de saveurs culinaires. Bienvenue au Carnaval de Notting Hill.
Chaque ann&eacute;e, plusieurs millions de participants venus des quatre coins du monde se r&eacute;unissent les derniers dimanche et lundi du mois d&rsquo;ao&ucirc;t dans les rues du nord-ouest de Londres. Marquant la fin des vacances d&rsquo;&eacute;t&eacute; au Royaume-Uni, le <a href="https://www.instagram.com/nhcarnivalldn/" target="_blank" rel="noopener">Carnaval de Notting Hill</a> est une c&eacute;l&eacute;bration culturelle populaire qui, apr&egrave;s y avoir assist&eacute; une premi&egrave;re fois, devient l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement que l&rsquo;on souhaiterait ne plus jamais &ecirc;tre contraint de devoir manquer. Mais pourquoi ?
La premi&egrave;re fois que j'ai d&eacute;couvert la version carib&eacute;enne du carnaval, c'&eacute;tait &agrave; la t&eacute;l&eacute;vision, il y a pr&egrave;s de 20 ans. J&rsquo;&eacute;tais encore petite fille. Je me souviens me tenant debout devant l&rsquo;&eacute;cran se trouvant dans la pi&egrave;ce familiale, totalement hypnotis&eacute;e par le documentaire sur le Carnaval de Rio qui y &eacute;tait diffus&eacute;. Je ne pouvais &eacute;videmment pas me voir, mais je suis s&ucirc;re que les &eacute;tincelles dans mes yeux et l'&eacute;merveillement qui m'habitait &agrave; ce moment-l&agrave; donnaient l'impression que je n'avais jamais rien vu d&rsquo;aussi beau auparavant.

A cette &eacute;poque, c&rsquo;&eacute;tait principalement la beaut&eacute; des costumes qui me fascinait. L&rsquo;une des facettes les plus captivantes du carnaval &mdash; que l&rsquo;on retrouve bien &eacute;videmment au Carnaval de Notting Hill.
Tous les ans, des dizaines de cr&eacute;ateurs con&ccedil;oivent des tenues spectaculaires pour les diff&eacute;rentes troupes qui rivalisent entre elles pour remporter le titre de &ldquo;Meilleure Mas Dutty Band&rdquo;. Lors d&rsquo;une courte interview destin&eacute;e &agrave; nourrir ma culture &agrave; ce sujet, Alfred, fondateur de la marque <a href="https://www.instagram.com/alfredowear.uk/" target="_blank" rel="noopener">Alfredo Wear UK</a> et cr&eacute;ateur de costumes pour <a href="https://www.instagram.com/onyx_mas/" target="_blank" rel="noopener">OnyxMas</a> &ndash; une section de la troupe <a href="https://www.instagram.com/ucomcarnival/" target="_blank" rel="noopener">United Colours Of Mas</a> (UCOM), qui s&rsquo;est plus d&rsquo;une fois retrouv&eacute;e en t&ecirc;te du classement &mdash; m&rsquo;explique que chaque ann&eacute;e, les designers con&ccedil;oivent leurs cr&eacute;ations en fonction d&rsquo;un th&egrave;me d&eacute;fini. &ldquo;[Le th&egrave;me choisi] rend hommage soit &agrave; un pays, soit &agrave; une tribu, ou &agrave; quelque chose comme un objet ou m&ecirc;me un animal, par exemple. Cette ann&eacute;e [2023], notre th&egrave;me est Aves, Birds of The Tropics ; les oiseaux tropicaux,&rdquo; pr&eacute;cise Alfred. Pour sa contribution artistique, le designer s&rsquo;est inspir&eacute; du rollier &agrave; gorge lilas, un oiseau au plumage rose, mauve et bleu. &ldquo;Chaque d&eacute;coration, chaque ornement pr&eacute;sent sur les costumes est soigneusement choisi pour refl&eacute;ter et repr&eacute;senter ce th&egrave;me.&rdquo;

Eclats de couleurs, coiffes en plumes et larges ensembles d&rsquo;ailes, perles et pierres pr&eacute;cieuses&hellip; Ce sont g&eacute;n&eacute;ralement ces &eacute;l&eacute;ments qui composent ce que l&rsquo;on peut consid&eacute;rer comme de v&eacute;ritables &oelig;uvres d'art en mouvement. Des symboles repr&eacute;sentant l&rsquo;h&eacute;ritage carib&eacute;en, son essence, son histoire, mais &eacute;galement ses convictions spirituelles. Aussi &eacute;trange que cela puisse para&icirc;tre, les costumes repr&eacute;sentent &agrave; mes yeux une parfaite &eacute;l&eacute;gance, une pr&eacute;ciosit&eacute; qui me procurait, et me procure d&rsquo;ailleurs toujours, une r&eacute;elle sensation de joie. Une sensation de bien-&ecirc;tre. Comme une piq&ucirc;re de dopamine dont je ne me passe plus.
Cependant, j&rsquo;ai pris de l&rsquo;&acirc;ge. La vie m&rsquo;a appris &agrave; voir au-del&agrave; des artifices, et je dois admettre que c&rsquo;est aujourd&rsquo;hui une autre facette du festival qui m&rsquo;anime davantage. Il s&rsquo;agit de son impact &agrave; la fois historique, politique et identitaire. Sans oublier son influence sur la confiance en soi.
Contrairement &agrave; la pens&eacute;e populaire et &agrave; ce que certains tablo&iuml;ds anglais s&rsquo;efforcent de faire croire, un carnaval carib&eacute;en (aussi appel&eacute; Bacchanal, Crop Over, Spicemas, Caribana&hellip;., en fonction des lieux de c&eacute;l&eacute;bration) ne consiste pas uniquement en une &eacute;norme f&ecirc;te de rue ; une excuse pour se d&eacute;guiser, abuser de l&rsquo;alcool ou autres substances illicites, et se d&eacute;hancher sur un fond sonore bruyant. Ce n'est pas non plus le rendez-vous des criminels, ni un endroit o&ugrave; r&egrave;gne la violence.

En r&eacute;alit&eacute;, le Carnaval de Notting Hill est avant tout un mouvement activiste. Organis&eacute; pour la premi&egrave;re fois en 1959 &agrave; l&rsquo;initiative de la journaliste trinidadienne et militante pour les droits humains, Claudia Jones, cet &eacute;v&eacute;nement est la r&eacute;ponse moralement &eacute;lev&eacute;e que Jones a trouv&eacute; pour riposter contre les &eacute;meutes raciales dont la communaut&eacute; carib&eacute;enne a &eacute;t&eacute; victime &agrave; la m&ecirc;me &eacute;poque au Royaume-Uni. C&rsquo;est une mani&egrave;re pacifiste pour les communaut&eacute;s noires et indig&egrave;nes du pays de r&eacute;affirmer et se r&eacute;approprier leurs origines, en instituant leurs traditions carnivalesque sur le continent europ&eacute;en.
D&rsquo;apr&egrave;s mon exp&eacute;rience, au Bacchanal de Londres, ce mouvement activiste est perceptible avec davantage de flagrance lors du <a href="https://pan-african-music.com/jouvert-in-the-diaspora/" target="_blank" rel="noopener">J&rsquo;Ouvert</a>, une c&eacute;l&eacute;bration empreinte de symbolisme qui inaugure le festival aux aurores du dimanche (entre 6h et 9h). Ce matin-l&agrave;, pas de costume &agrave; plumes ni &agrave; paillettes pour les masqueraders. En hommage &agrave; l&rsquo;Histoire et aux anc&ecirc;tres encha&icirc;n&eacute;s, ils optent plut&ocirc;t pour des d&eacute;guisements et personnages repr&eacute;sentatifs du pass&eacute; (Dame Lorraine, Baby Doll, Jab Jab, Blue Devil&hellip;). La plupart des corps badigeonn&eacute; de peinture, de suie, de chocolat, voire m&ecirc;me de poudre blanche, tous se rassemblent pour lib&eacute;rer les d&eacute;mons d&rsquo;antan et comm&eacute;morer l&rsquo;abolition de l&rsquo;esclavage.
On remarque alors que l&rsquo;id&eacute;e de libert&eacute; est omnipr&eacute;sente au Carnaval de Notting Hill. Et qu&rsquo;elle impacte d&rsquo;ailleurs diff&eacute;rents aspects de l&rsquo;identit&eacute; des festivaliers. La plus &eacute;vidente est celle du physique. Du rapport au corps et de l&rsquo;expression corporelle d&eacute;complex&eacute;e. Une facette de moi qui a &eacute;t&eacute; profond&eacute;ment touch&eacute;e lors de ma premi&egrave;re visite en 2022, pour des raisons que les carnivalistes Sasha Edwards et Nana Crawford partagent. &ldquo;Le carnaval m&rsquo;a appris &agrave; avoir davantage confiance en moi. A aimer mon corps,&rdquo; confie Sasha. &ldquo;Surtout parce qu&rsquo;on est &agrave; moiti&eacute; nus dans nos costumes. En Guyane ou en Jama&iuml;que, [porter ces costumes] para&icirc;t plus naturel &agrave; cause du cadre et de la chaleur constante. Mais ici, &agrave; Notting Hill, c&rsquo;est diff&eacute;rent.&rdquo; Mod&egrave;le pour certains cr&eacute;ateurs de costumes, Sasha constate que les tenues de masqueraders deviennent de plus en plus audacieuses. Un ph&eacute;nom&egrave;ne que le fondateur d&rsquo;Alfredo Wear UK explique, outre la n&eacute;cessit&eacute; de devoir suivre la tendance, par un d&eacute;sir de marquer les esprits et d&rsquo;attirer les foules &agrave; travers le sex appeal. Quitte &agrave; s&rsquo;&eacute;loigner de l&rsquo;essence du carnaval carib&eacute;en traditionnel. Simple outil marketing, voire coup m&eacute;diatique ? Aux yeux de nos carnivalistes, la raison semble plus profonde. Particuli&egrave;rement aux yeux de Nana, danseuse de samba et membre de la troupe Paraiso School of Samba, qui pense que c&rsquo;est simplement d&ucirc; au fait que les gens se sentent de plus en plus &agrave; l&rsquo;aise dans leur peau.

&ldquo;Les gens ne veulent pas &ecirc;tre contr&ocirc;l&eacute;s et nos corps ne devraient pas l&rsquo;&ecirc;tre. En tant que femmes noires, nos corps ont &eacute;t&eacute; contr&ocirc;l&eacute;s pendant des ann&eacute;es. Et je pense que maintenant, on commence &agrave; comprendre qu&rsquo;on n&rsquo;a pas besoin d&rsquo;avoir honte de notre corps ou de le cacher. On a le droit de le c&eacute;l&eacute;brer, tout en appr&eacute;ciant le caract&egrave;re unique et la diff&eacute;rence de chacun.&rdquo; Selon elle, la carnival fashion, aussi d&eacute;v&ecirc;tue soit-elle, consiste pour les masqueraders une forme puissante de libert&eacute; et d&rsquo;expression.
Et pour y avoir moi-m&ecirc;me port&eacute; des tenues d&eacute;nud&eacute;es qui respirent le soleil, je ne pourrais affirmer le contraire. Ce que j&rsquo;ai ressenti en mettant pour la premi&egrave;re fois les pieds au Carnaval de Notting Hill &eacute;tait similaire &agrave; p&eacute;n&eacute;trer dans un monde o&ugrave; le jugement n&rsquo;existe pas. O&ugrave;, comme l&rsquo;explique Sasha, les gens sont l&agrave; simplement pour se laisser porter par la vibe et s&rsquo;autoriser &agrave; let loose ; soit &agrave; ne plus prendre la vie trop au s&eacute;rieux le temps d&rsquo;un week-end. On ose se d&eacute;couvrir et se r&eacute;v&eacute;ler sous notre vrai jour sans trop penser aux cons&eacute;quences&hellip; simplement parce qu&rsquo;il n&rsquo;y en aura pas. On se laisse emporter dans une euphorie contagieuse aux rythmes envo&ucirc;tants des steel drums, des m&eacute;lodies enjou&eacute;es du calypso et des pulsations irr&eacute;sistibles du soca qui animent les rues. En un rien de temps, on se transforme en de r&eacute;els party animals ; pendant que certains performent leur whine le plus sexy (un roulement de hanche sensuel) sur leurs diff&eacute;rents partenaires de danse, d&rsquo;autres secouent leurs fesses avec fiert&eacute; au rythme de la musique, acclam&eacute;s du monde autour.

Quand on ne le vit qu&rsquo;&agrave; travers les r&eacute;seaux sociaux et qu&rsquo;on y a jamais assist&eacute; en personne, il n&rsquo;est pas anodin de se demander si on appartient vraiment &agrave; cette foule. Si parmi ces personnes avec qui on ne partage ni la m&ecirc;me couleur de peau, ni la m&ecirc;me culture, on ne fera pas tache. N&eacute;e d&rsquo;une m&egrave;re belge et d'un p&egrave;re belgo-alg&eacute;rien&mdash;autrement dit, en tant que femme racis&eacute;e mais non-noire&mdash;, je n&rsquo;ai jamais ressenti que ma pr&eacute;sence &agrave; cette c&eacute;l&eacute;bration d&eacute;notait. Au contraire, je m&rsquo;y sens comme &agrave; la maison, entour&eacute;e d&rsquo;amis avec qui le courant passe si naturellement que l&rsquo;on croirait se conna&icirc;tre depuis toujours.&nbsp;
Claudia Jones cherchait &eacute;galement &agrave; faire ressentir cette sensation &agrave; travers cet &eacute;v&eacute;nement. Son objectif &eacute;tait aussi de rassembler et communier les foules. Peu importe la diff&eacute;rence d&rsquo;&acirc;ge, de sexe, d&rsquo;ethnicit&eacute; ou de race, ce Bacchanal est destin&eacute; &agrave; quiconque attache de la valeur au concept de diversit&eacute; ; s'efforce de comprendre le monde en se plongeant au coeur de ses diff&eacute;rentes cultures ; et souhaite exprimer son appr&eacute;ciation pour la culture noire et indig&egrave;ne. Sasha est tout aussi enthousiaste &agrave; cette id&eacute;e. &ldquo;On compte beaucoup d'ethnies diff&eacute;rentes au carnaval. &Ccedil;a fait plaisir &agrave; voir,&rdquo; sourit-elle. &ldquo;En tant que carib&eacute;ens, on aime quand les gens embrassent notre culture.&rdquo;

Le Carnaval de Notting Hill a lieu tous les ans durant les derniers dimanche et lundi du mois d&rsquo;ao&ucirc;t.

Carnaval de Notting Hill: pourquoi le festival caribéen est bien plus qu'une fête de rue ?

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