Stephan et Georges Uhoda ont entam&eacute; leur collection intuitive au milieu des ann&eacute;es 1970. Depuis 2023, elle est ouverte au public.

Les corridors amples et blancs du si&egrave;ge d&rsquo;Uhoda Group, ancienne banque, sont habit&eacute;s. On y croise la Georgia Granite Line de l&rsquo;Anglais Richard Long, deux tonnes de pierres de granite blanc de G&eacute;orgie formant un gu&eacute; de pierres, le Frisson bleu en verre martel&eacute; et flott&eacute; d&rsquo;Ann Veronica Janssens et une Compression de Michel Fran&ccedil;ois (compagnons &agrave; la ville et parfois dans les mus&eacute;es) ou les traces fum&eacute;es de l&rsquo;Italien Claudio Parmiggiani (Delocazione).&nbsp;
Dans la salle o&ugrave; nous conversons avec Georges et Stephan, deux &oelig;uvres marquent l&rsquo;envergure de la collection Uhoda. Sous sa bo&icirc;te translucide, Pri&egrave;re de toucher. Le surr&eacute;alisme en 1947, catalogue de l'exposition parisienne d&rsquo;Andr&eacute; Breton et Marcel Duchamp &agrave; la Galerie Maeght, r&eacute;affirmait la place du Surr&eacute;alisme apr&egrave;s la Seconde Guerre mondiale. La couverture con&ccedil;ue par Duchamp arbore un sein en latex. Ce "Pri&egrave;re de toucher" brise la convention du "Pri&egrave;re de ne pas toucher" impos&eacute; aux &oelig;uvres d&rsquo;art. Le mur adjacent re&ccedil;oit At the Ancestors Conference Il, sculpture-installation du Ghan&eacute;en El Anatsui qui puise dans la sagesse du pass&eacute;, fragments de bois de fermes d&eacute;labr&eacute;es align&eacute;s au mur. En Afrique de l'Ouest, ces fragments, m&eacute;taphores de figures d&rsquo;"anc&ecirc;tres", renaissent dans de nouvelles constructions.
L&rsquo;insolence de Duchamp et la sagesse du Ghan&eacute;en condensent la d&eacute;marche des fr&egrave;res Uhoda : provoquer le regard et nouer des liens. "Le personnel du si&egrave;ge prend part aux choix des &oelig;uvres expos&eacute;es, souligne Stephan. Une peinture de Jacques Liz&egrave;ne, faite de sa mati&egrave;re f&eacute;cale, a pu choquer&hellip;", sourit-il. "Et une photographie d&rsquo;&Eacute;ric Poitevin (sa s&eacute;rie d&rsquo;arri&egrave;re-trains chevalins, NDLR), a pu interpeller : &ldquo;Pourquoi un demi-cheval ? Un post&eacute;rieur, mais &agrave; quel prix?&rdquo; "

<h3>M&eacute;tiers, hasards et voyages</h3>
C&rsquo;est la collection d'une entreprise qui a trois m&eacute;tiers: la mobilit&eacute; (stations-service, car washes, parkings&hellip;), l'&eacute;v&eacute;nementiel et le d&eacute;veloppement immobilier. Elle forme un investissement issu des fonds propres de l&rsquo;entreprise, &agrave; hauteur de plusieurs millions depuis les d&eacute;buts, "mais l&rsquo;esprit de sp&eacute;culation nous est &eacute;tranger", souligne Georges. Elle s&rsquo;assortit d&rsquo;un travail d&rsquo;archivage, de documentation, de pr&eacute;sentation, de gestion du site Internet, sans subsides, dans un contexte international rude.&nbsp;
Georges, l&rsquo;a&icirc;n&eacute; des deux, se rem&eacute;more les pr&eacute;mices. "Au Coll&egrave;ge j&eacute;suite Saint-Servais de Li&egrave;ge, en classe de po&eacute;sie, le p&egrave;re Gu&eacute;rin, notre professeur, propose &agrave; quelques &eacute;l&egrave;ves, apr&egrave;s les cours, un cours d&rsquo;histoire de l&rsquo;art autour des Ma&icirc;tres anciens. &Agrave; 16 ans, le clair-obscur du Caravage m'ouvre un univers. Je fais la connaissance d&rsquo;artistes li&eacute;geois : Daniel Fourneau, Jacques Liz&egrave;ne, Patrick Corillon, &Eacute;ric Duyckaerts, Jacques Charlier. Un jour, Jacques Parisse, critique d&rsquo;art pour La Wallonie et la RTB-Li&egrave;ge, me propose : &ldquo;Veux-tu rencontrer Graindorge ?&rdquo;" Collectionneur et m&eacute;c&egrave;ne, le baron Fernand Graindorge pr&eacute;sidait la Commission des Beaux-Arts de la section li&eacute;geoise de l&rsquo;APIAW, Association pour le progr&egrave;s intellectuel et artistique en Wallonie, cr&eacute;&eacute;e en 1943. Cette rencontre &eacute;largit le spectre. "Notre collection s&rsquo;est ainsi faite. Fernand Graindorge me permet d&rsquo;aller voir Ernst Beyeler &agrave; B&acirc;le, avant m&ecirc;me la cr&eacute;ation de sa fondation en 1982, et me conduit vers d&rsquo;autres artistes."
Des cinq fr&egrave;res Uhoda, Stephan est le cadet et Georges l'avant-dernier : sans tradition de collection familiale, ils entament la leur vers 1975, qui s&rsquo;&eacute;toffe avec l&rsquo;activit&eacute; du groupe. "Apr&egrave;s nos d&eacute;buts avec des artistes li&eacute;geois, je voyage en Allemagne, en Italie, et la collection prend de l'ampleur." D&eacute;but 1990, elle s&rsquo;expose : Laurent Busine, directeur du Palais des Beaux-Arts de Charleroi, organise Portrait d&rsquo;une collection d&rsquo;art contemporain, qui r&eacute;unit Gerhard Richter, Ben, Daniel Buren, Lucio Fontana, Thomas Ruff, des membres du groupe BMPT (les Fran&ccedil;ais Buren et Parmentier, les Suisses Mosset et Toroni). Parmi leurs premi&egrave;res &oelig;uvres, le Li&eacute;geois Daniel Fourneau et Michel Fr&egrave;re, artiste post-Cobra disparu en 1999, mais aussi, chez Stephan, "un petit Sol LeWitt tr&egrave;s graphique et architectural, qui reviendra sans doute &agrave; ma fille architecte". (La fille de Georges, Yoko, a ouvert une galerie en 2014, &agrave; Li&egrave;ge, NDLR.)
Plus tard, le hasard s&rsquo;en m&ecirc;le. Manette Repriels, pionni&egrave;re qui expose l&rsquo;Am&eacute;ricain Sol LeWitt ou des inconnus comme le duo britannique Gilbert et George, tient sa galerie Vega en face de la station-service li&eacute;geoise du Pont Kennedy. Le galeriste bruxellois Albert Baronian m&egrave;ne ensuite Georges vers l&rsquo;Arte Povera, les Italiens Giuseppe Penone, Mario Merz, Gilberto Zorio, Michelangelo Pistoletto. En 1991, cette amiti&eacute; les conduit &agrave; ouvrir l&rsquo;Espace Lulay, &agrave; Li&egrave;ge, rue Lulay (devenue pi&eacute;tonne). Ils y exposent Pistoletto, Turrell et d&rsquo;autres.
"Dans les ann&eacute;es 1990", se souviennent-ils, "nous avons &eacute;t&eacute; contraints de nous s&eacute;parer d&rsquo;Am&eacute;ricains comme James Turrell ou Donald Judd, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque peu connus. Des &oelig;uvres achet&eacute;es 400 000 francs belges ont &eacute;t&eacute; revendues le double, mais aujourd&rsquo;hui, cette somme se compterait en euros&hellip;"
En 1999, Georges d&eacute;couvre Rothko lors de la r&eacute;trospective au Mus&eacute;e d&rsquo;Art moderne de la ville de Paris. "Je me sens happ&eacute; dans son monde."&nbsp;Quant &agrave; Francis Bacon, il le rencontre &agrave; B&acirc;le, chez Ernst Beyeler, "ma&icirc;tre des points rouges marquant les &oelig;uvres vendues, pour provoquer l&rsquo;envie de l&rsquo;acheteur".&nbsp;
Tr&egrave;s t&ocirc;t, il ach&egrave;te un Richter, sans doute le plus grand peintre vivant &agrave; ses yeux, "un million de francs belges, &agrave; Anvers, dans une galerie au-dessus d&rsquo;un magasin d'&eacute;lectrom&eacute;nager ! L&rsquo;un de ceux que j&rsquo;ai d&ucirc; revendre dans les ann&eacute;es 1990. Mais il ne faut pas vivre de regrets&hellip;"

<h3>L&rsquo;Afrique et le public</h3>
Nouveau concours de circonstances, la collection s&rsquo;&eacute;largit &agrave; l&rsquo;Afrique, o&ugrave; le m&eacute;tier de Stephan le conduit souvent. En 2019, il voit expos&eacute;e &agrave; Bozar une partie de la collection du Congolais Sindika Dokolo, avec l&rsquo;artiste sud-africain Kendell Geers. En 2020, Sindika Dokolo meurt dans un accident de plong&eacute;e. "Apr&egrave;s sa disparition, charg&eacute;e de sa collection, Catherine Goffeau nous a rejoint", pr&eacute;cise Stephan. Les fr&egrave;res se tournent alors aussi vers l&rsquo;art africain contemporain avec cette Conf&eacute;rence des Anc&ecirc;tres du Ghan&eacute;en El Anatsui. "J&rsquo;avais assist&eacute; &agrave; de telles sc&egrave;nes en Guin&eacute;e, &agrave; Conakry", souligne Stephan.
Depuis fin 2023, la collection s&rsquo;ouvre au public, avec un premier accrochage pens&eacute; par Georges et Catherine, renouvel&eacute; d&eacute;but 2025, et une m&eacute;diation assur&eacute;e par l&rsquo;ASBL Art et Fact.
Parall&egrave;lement, alors pr&eacute;sident de Li&egrave;ge Gestion Centre-Ville, Stephan Uhoda aide &agrave; lancer Art au centre, parcours d'art contemporain de jeunes curateurs et artistes dans des vitrines vides du centre, sur une id&eacute;e de l&rsquo;ASBL Mouvement Sans Titre. Depuis 2021, ils disposent de White Cube, un espace rue Saint-Paul, l&rsquo;une des plus fr&eacute;quent&eacute;es de Li&egrave;ge (70 000 passages par semaine). Cette vitrine accueille chaque mois une &oelig;uvre de la collection.
Le groupe aime favoriser la cr&eacute;ation d&rsquo;&oelig;uvres cr&eacute;ant du "lien" dans l&rsquo;espace public. Ainsi, l&rsquo;intervention de Daniel Buren pour la gare de Li&egrave;ge-Guillemins, financ&eacute;e &agrave; 65% par le sponsoring de partenaires, notamment les groupes Eiffage et Ardent, la Loterie nationale, Vranken-Pommery et Point Chaud.&nbsp;
Le nom Uhoda vient de Croatie : leur grand-p&egrave;re, n&eacute; en Dalmatie, a &eacute;migr&eacute; en 1925. La porte du si&egrave;ge social est orn&eacute;e d&rsquo;une plaque : Consulat de Croatie. Depuis quelques mois, Stephan Uhoda est consul honoraire de Croatie en Wallonie, consulat abrit&eacute; au si&egrave;ge social du groupe. En 2026, ils visent une manifestation avec des artistes croates.
"Nous aimons l'art abstrait et nous aimons aussi la vie", confie Stephan. "Apr&egrave;s tout, Mondrian, grand ma&icirc;tre de l&rsquo;abstraction g&eacute;om&eacute;trique, adorait le boogie-woogie et le ballet classique."
Les grands artistes ne sont forc&eacute;ment pas r&eacute;volutionnaires en toute chose.

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La collection Uhoda : un trésor accessible depuis 2023

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