Le créateur belge, Simon-Pierre Toussaint, a gagné ses galons dans le monde de la mode, mais depuis 2020, il est à la tête de Créahmbxl (création et handicap mental Bruxelles), une association sans but lucratif qui contribue depuis près de quarante ans à développer des ateliers artistiques et culturels pour les artistes handicapés mentaux.

Les artistes en situation de handicap mental ont &eacute;t&eacute; exclus de la sc&egrave;ne publique pendant des ann&eacute;es, mais les choses changent. Inspir&eacute; par les personnes qui expriment leur magie dans les marges, l&#39;art brut d&eacute;signe les &oelig;uvres spontan&eacute;es d&#39;artistes qui travaillent en dehors des conventions et du circuit professionnel. Si certains ne voient en eux que des patients souffrant d&#39;un handicap mental, d&rsquo;autres les c&eacute;l&egrave;brent &agrave; leur juste valeur comme Simon-Pierre Toussaint.

Outre l&#39;ouverture d&#39;ateliers dans diff&eacute;rentes disciplines, son association Cr&eacute;ahmbxl compte aussi parmi ses missions la diffusion d&#39;&oelig;uvres d&#39;art, la r&eacute;alisation de campagnes d&#39;information et de sensibilisation, l&#39;organisation de spectacles ainsi que la repr&eacute;sentation d&#39;artistes. Le talent artistique de Simon-Pierre Toussaint a &eacute;t&eacute; remarqu&eacute; pour la premi&egrave;re fois en 2009, lorsque ce jeune cr&eacute;ateur et ancien &eacute;l&egrave;ve de l&#39;Acad&eacute;mie d&#39;Anvers a remport&eacute; deux prix au Festival de Hy&egrave;res. Il a entam&eacute; dans la foul&eacute;e une carri&egrave;re florissante chez Bellerose, Rue Blanche et IKKS entre autres&nbsp;&ndash; &quot;Ce qui me fascine le plus dans la mode, c&#39;est son potentiel &agrave; cr&eacute;er des images&quot;&nbsp;&ndash; et un parcours universitaire, puisqu&rsquo;il enseigne &agrave; La Cambre et au Raffles Design Institute &agrave; Mumbai. En 2020, il est pass&eacute; de la planche &agrave; dessin au management, un switch qui n&#39;a pas alt&eacute;r&eacute; le moins du monde sa cr&eacute;ativit&eacute;. &quot;J&#39;avais d&eacute;j&agrave; travaill&eacute; avec l&rsquo;association en tant que co-commissaire d&#39;une exposition qui r&eacute;unissait des artistes avec et sans handicap. Cette exp&eacute;rience m&#39;a plu et je m&rsquo;int&eacute;resse de plus en plus &agrave; la sc&egrave;ne artistique depuis quelques ann&eacute;es. Qu&#39;est-ce qui m&#39;attire chez les artistes de Cr&eacute;ahmbxl ? Aussi bien leur talent que leur spontan&eacute;it&eacute;. C&rsquo;est impressionnant de voir ces personnes au travail : s&ucirc;res d&#39;elles, sans doute ni arri&egrave;re-pens&eacute;e. Cr&eacute;er, c&rsquo;est tout ce qui compte &agrave; leurs yeux. Au cours de ma formation artistique, on me demandait sans cesse d&rsquo;expliquer mon travail, alors qu&#39;avec eux, il ne sera jamais question d&rsquo;une quelconque forme de justification. Ils font leur truc, purement et simplement :&nbsp; c&#39;est super rafra&icirc;chissant ! Ils expriment leur v&eacute;rit&eacute;, sans filtre. Et une fois qu&#39;on y a go&ucirc;t&eacute;, on est tent&eacute; de leur embo&icirc;ter le pas.&quot;

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Le Cr&eacute;ahm propose des ateliers d&#39;arts plastiques, de musique, de danse, de th&eacute;&acirc;tre et de cirque. Pour &ecirc;tre admis en tant qu&#39;artiste, il faut d&#39;abord participer &agrave; trois ateliers tests. &quot;Le but n&#39;est pas de juger le talent ou l&#39;art d&rsquo;un candidat, mais de v&eacute;rifier si l&rsquo;association est &agrave; m&ecirc;me d&rsquo;accompagner cette personne dans son &eacute;volution artistique. Actuellement, nous suivons quelque 90 artistes adultes de tous &acirc;ges, dont certains viennent chez nous depuis pr&egrave;s de quarante ans. Ils sont encadr&eacute;s par des artistes-animateurs, qui ne sont &eacute;videmment pas l&agrave; pour enseigner un style ou une &eacute;cole, mais bien pour les aider, au travers d&rsquo;&eacute;changes et de cocr&eacute;ations occasionnelles, &agrave; trouver leur voie et &agrave; s&rsquo;&eacute;panouir. Nous insistons vraiment sur ce dernier point, toute id&eacute;e d&rsquo;uniformit&eacute; est battue en br&egrave;che. Le r&ocirc;le de l&#39;animateur consiste &agrave; aider l&rsquo;artiste &agrave; se r&eacute;v&eacute;ler, pas &agrave; enseigner une marche &agrave; suivre.&quot;&nbsp;Ce n&rsquo;est pas du tout &eacute;vident de travailler en restant fid&egrave;le &agrave; son propre style, en faisant fi des conventions et du flot incessant d&#39;influences qui nous assaillent aujourd&#39;hui 24 heures sur 24. Et c&#39;est pr&eacute;cis&eacute;ment &ccedil;a que peut nous enseigner l&#39;art brut. &quot;Certains des artistes avec lesquels nous travaillons sont des personnalit&eacute;s fortes. Il est extr&ecirc;mement difficile, voire impossible, de les faire changer d&#39;avis quand ils ont quelque chose en t&ecirc;te. L&rsquo;art est pour eux un moyen d&#39;expression, ils communiquent quelque chose parce qu&#39;ils en ont envie, pas parce que quelqu&#39;un le leur a demand&eacute;. C&#39;est pourquoi il est compliqu&eacute; de les faire travailler sur commande, mais d&#39;un autre c&ocirc;t&eacute;, cette force de caract&egrave;re peut aussi faire des &eacute;tincelles. M&ecirc;me lorsqu&#39;ils s&#39;inspirent d&#39;images existantes &ndash; issues de magazines de mode par exemple &ndash;, ils y apportent leur touche, qui peut partir dans de nombreuses directions diff&eacute;rentes ! On retrouve &eacute;galement cette spontan&eacute;it&eacute; chez les enfants, mais nous la perdons en grandissant.&quot;&nbsp;L&#39;ASBL entend se d&eacute;barrasser d&eacute;finitivement du clich&eacute; de la personne handicap&eacute;e impuissante et malheureuse. Entre ses murs, des artistes produisent des &oelig;uvres extr&ecirc;mement vari&eacute;es. Ainsi, l&rsquo;art de Sh&eacute;razade Gharbi repose sur un album de photos de famille qui r&eacute;sument sa vie jusqu&#39;&agrave; pr&eacute;sent. Elle redessine ces souvenirs tout en imaginant un avenir : mariages, enfants, &eacute;v&eacute;nements, personnes et &eacute;motions qu&#39;elle seule peut voir. Brouillant les fronti&egrave;res entre r&eacute;alit&eacute; et imagination, elle compose une sorte de roman-photo qui englobe le pass&eacute; et le futur. Autre artiste remarquable, Daniel Sterckx, pr&eacute;sent deux fois par semaine depuis 1986, a fait des cercles sa marque de fabrique. Des formes fantaisistes qui se transforment en visages, lesquels se muent &agrave; leur tour en bouches ouvertes. &quot;Un art centr&eacute; sur les multiples facettes de la bouche&nbsp;: celle qui raconte, qui mord, qui embrasse... Il arrive &agrave; Daniel de parler &agrave; ses visages pendant qu&#39;il peint, c&#39;est beau &agrave; voir.&quot;&nbsp;La collaboration et les &eacute;changes avec les animateurs donnent &eacute;galement lieu &agrave; de belles histoires. La photographe et animatrice Jeanne Bidlot documente la vie au sein des ateliers de Cr&eacute;ahmbxl depuis quatre d&eacute;cennies. Non seulement elle a constitu&eacute; une &oelig;uvre magnifique, mais elle a &eacute;galement tiss&eacute; des liens solides avec certains des artistes.

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Parmi les piliers de Cr&eacute;ahmbxl figure la diffusion de l&#39;art cr&eacute;&eacute;. C&#39;est &agrave; Simon-Pierre Toussaint qu&#39;il revient de faire le lien avec les galeries, mus&eacute;es, th&eacute;&acirc;tres, producteurs, etc. afin de faire conna&icirc;tre &quot;ses&quot;&nbsp;artistes au monde ext&eacute;rieur dans un cadre aussi professionnel que possible. Une visite virtuelle prouve que le processus cr&eacute;atif n&rsquo;a rien perdu de son intensit&eacute; pendant les mois de COVID, et tant les &oelig;uvres que les artistes voyagent r&eacute;guli&egrave;rement dans le monde entier, de Vienne &agrave; Cuba, pour pr&eacute;senter leur savoir-faire et leur message au travers de spectacles de danse, performances musicales, expositions et projets de collaboration. L&#39;int&eacute;r&ecirc;t pour l&#39;art brut est croissant ; rien qu&#39;en Belgique, trois mus&eacute;es &ndash; Trinkhall, Art &amp; Marges et Dr. Guislain &ndash; s&rsquo;appliquent &agrave; rendre ce mouvement visible. Cependant, la particularit&eacute; de ce type d&#39;art, c&#39;est qu&#39;il est pr&eacute;f&eacute;rable de ne pas l&#39;&eacute;tudier. &quot;Ce qui me pla&icirc;t le plus, c&#39;est que les &oelig;uvres suscitent quelque chose chez le public. L&#39;art me touche lorsqu&#39;il d&eacute;clenche une &eacute;motion que je ne m&rsquo;attendais pas forc&eacute;ment &agrave; &eacute;prouver. Je plonge dans l&#39;univers d&#39;un artiste, mais ce d&eacute;tour me rappelle &eacute;trangement ma propre histoire. La plupart des gens voient par exemple beaucoup de tourments dans les tableaux de Daniel Sterckx, alors que pour moi, ils &eacute;voquent la douceur. Je trouve cette notion d&#39;&eacute;cho &agrave; l&#39;histoire de chacun fascinante. L&rsquo;&eacute;tudier ? Ce n&rsquo;est pas indispensable, la grande valeur de cet art r&eacute;side dans le fait qu&rsquo;il nous donne le sentiment d&#39;&ecirc;tre vivant.&quot;

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Bien s&ucirc;r, une &oelig;uvre d&#39;art plastique ne confronte pas directement le public au handicap mental d&#39;un artiste, alors que la musique, la danse, le th&eacute;&acirc;tre et le cirque le rendent beaucoup plus manifeste. &quot;Aujourd&#39;hui, malheureusement, il est encore exceptionnel de voir des artistes handicap&eacute;s &agrave; l&#39;&oelig;uvre dans ces disciplines. Lorsque c&#39;est le cas, &ccedil;a provoque toujours des r&eacute;actions de la part des spectateurs. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour abattre les murs et &eacute;duquer le public. La production th&eacute;&acirc;trale Mardi Piscine est explicitement orient&eacute;e vers un jeune public et a mis en place quelque chose de tr&egrave;s int&eacute;ressant. Nous avons donn&eacute; des repr&eacute;sentations tests dans des &eacute;coles primaires, et &agrave; aucun moment les enfants n&#39;ont mis en avant le handicap des interpr&egrave;tes. Le contenu a pris le dessus. C&#39;est formidable de confronter d&egrave;s le plus jeune &acirc;ge le public au handicap de fa&ccedil;on &agrave; le normaliser. C&#39;est encore trop rare, mais il y a bel et bien des r&eacute;alisateurs qui veulent consciemment organiser des castings plus inclusifs, et nous pouvons les y aider. Nous ne sommes d&rsquo;ailleurs pas les seuls ; l&#39;ASBL Theater Stap&nbsp;fait un excellent travail aussi dans ce domaine. L&#39;un des exemples les plus connus est celui de l&#39;acteur Pascal Duquenne du Cr&eacute;ahm, laur&eacute;at du Prix d&rsquo;interpr&eacute;tation masculine &agrave; Cannes en 1996, ex aequo avec son partenaire Daniel Auteuil dans Le Huiti&egrave;me Jour. Je veux qu&lsquo;on mette l&rsquo;accent sur le travail et le talent des artistes plut&ocirc;t que sur leurs limites. Il en va de m&ecirc;me pour les autres arts du spectacle et la sc&egrave;ne musicale. J&#39;aimerais d&rsquo;ailleurs proposer de nouveaux ateliers : photographie, traitement des textiles (nous avons un &eacute;norme potentiel en termes d&#39;impressions &agrave; destination de la mode), po&eacute;sie, etc. Mais bien s&ucirc;r, il faut disposer de moyens financiers, alors une chose &agrave; la fois. En d&eacute;finitive, il s&#39;agit de rompre avec l&#39;image de la personne handicap&eacute;e pitoyable. Ce n&#39;est pas toujours facile, mais nous continuons &agrave; nous battre pour &ccedil;a chaque jour, entra&icirc;n&eacute;s par l&#39;amour, la joie et les talents que poss&egrave;dent les artistes de Cr&eacute;ahmbxl.&quot;

Comment Simon-Pierre Toussaint contribue à normaliser l'art pour les handicapés mentaux ?

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