Mode

Quand les bijoux prennent tout leur sens : l’art précieux des joaillières belges engagées

Alors que le prix du métal refuge atteint des sommets historiques – les orpailleurs diraient hystériques – il importe plus que jamais de mettre du sens dans les bijoux que l’on s’offre.  Avec leur réflexion précieuse, des joaillières consacrent toute leur inventivité à sculpter nos messages valorisés.

Sara Esther
Sara Esther

Leur histoire est toujours liée aux moments à marquer d’une pierre blanche, le diamant en l’occurrence. Contrairement aux tendances de la mode, plus versatiles dans le temps, les bijoux restent, se transmettent, sont indissociables de la personne qui nous les a offerts ou légués. La plupart des joaillières que nous avons rencontrées, au parcours semé de petites pépites jaunes, consacrent une partie de leur talent à la transformation de ces héritages signifiants. Certaines sont tombées dans la marmite d’or quand elles étaient petites, d’autres étaient psy ou ensemblière au cinéma, femme au foyer ou présentatrice télé. Il y a autant de gestes de création qu’il y a de vocations poinçonnées par la vie. 

L’allégorie bosselée

Grande voyageuse des tropiques et du cœur, Sara Esther a lancé sa marque il y a une dizaine d’années, fondée sur des formes évocatrices de résilience et des icônes de superstition douce. Cette entrepreneuse indépendante et autodidacte – elle travaille la cire de ses doigts pour composer des bijoux organiques – signe des collections signifiantes. "Je travaille toujours avec une conscience éthique et esthétique. Toutes mes pièces sont réalisées en Belgique, en circuit court et avec de l’or recyclé. Les diamants sont garantis “conflict free”. Je m’attache à concevoir des bijoux singuliers, sculptés à la main, comme je l’ai fait sur une plage de Bali à l’origine pour ma collection Silky Sea, aux courbes et embossages réalisés à la chaleur d’une bougie. Les arches et les creux dans les bagues sont inspirés par les reflets de la lumière sur les vagues.Sara fabrique aussi des chaînes massives destinées à ancrer le temps dans nos esprits comme un bateau ivre sur un quai de poésie et ses rangs de perles en or baroque ou en argent clinquant jouent avec les codes d’une bourgeoisie qui évolue dans une ère post-punk-écolo-flegmatique-chic. Pour redorer le blason de nos histoires de famille, sur rendez-vous, elle transforme et informe, crée sur mesure et revendique une marque unisexe, plaquée de décadence et d'authenticité. 

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Sara Esther

L’inspiration organique 

Si la mer donne du souffle à l’inspiration des unes, ce sont les plantes qui servent de sève au dessin des autres. Sophie Bouilhet-Dumas, qui cultive un immense jardin sauvage en Normandie, a nommé sa toute jeune marque de joaillerie botanique en hommage à sa mère, la comtesse belge Mirabelle Van Der Notte Assche, et à son arrière-grand-mère, Stella Delloye. Sophie estime que "la passion des jardins se transmet beaucoup par les femmes, ce sont des histoires de secret". Designer d’accessoires pour Burberry et Hermès, la créatrice qui se déplaçait beaucoup pour son métier a eu envie d'enraciner un projet quelque part. "Plus mon jardin florissait, plus je voyais des bijoux dans les formes organiques. Ma famille a fondé la maison Christofle, j’avais déjà la sensibilité de l'orfèvrerie. Mira Stella a commencé à pousser dans mes dessins." Ses pièces reproduisent la forme millénaire des graines de lin ou d’hortensias: le lyrisme ne demande qu’à essaimer. Et les idées symboliques, à s’exprimer. Car de son côté, avant de se consacrer à la joaillerie, Enora Antoine était psy.

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Mira Stella

L’analyse des sentiments

Elle a fondé sa maison artisanale il y a dix ans et vient d’inaugurer un showroom atelier, écrin de création et de transmission. Enora Antoine modèle ses bijoux pour les moments marquants, pour les fiançailles – sa collection dédiée est saisissante d’harmonie prescriptrice – et elle excelle aussi dans la transformation des bijoux anciens, héritages sculptés du sens qu’on y met. De la psychologie à la joaillerie, elle a ressenti il y a une quinzaine d’années le besoin de travailler de ses mains, a suivi les cours du soir des Arts et Métiers pour passer de l'âme à la loupe aux pierres à réflexions. Enora dessine des bijoux délicats, sensibles. Ses pièces signatures, aux designs liés aux émotions, sont conçues en collaboration avec une gemmologue bruxelloise pour les saphirs, rubis, émeraudes et tourmalines, et avec un fournisseur anversois pour les diamants naturels et de synthèse, plus accessibles. Sa nouvelle collection Radiant, allégorie inspirée de philosophie yogique qui matérialise le rayonnement qui émane de chaque être, est ornée de pierres de laboratoire et organiques. À chacun son divan, pourvu qu’on ait le diamant.

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Enora Antoine © Elodie de Ceuninck

Le fil rouge

La success story de Vanessa Tugendhaft n’a tenu qu’à un fil, si on peut dire. Elle a grandi dans une famille de diamantaires anversois et, depuis l’enfance, elle fabriquait des petits bijoux dans l'atelier de son père. "Puis, il y a eu cette vague de stars qui portaient un fil rouge au poignet comme porte-bonheur. Madonna, Demi Moore, puis rapidement tout le monde dans la rue ou dans le métro, c’était devenu un accessoire de mode. J’y ai attaché un petit diamant, pour ajouter du précieux à sa symbolique spirituelle. J'avais 22 ans et, si le lancement de ce projet a été un véritable périple, le produit a tout de suite marché, parce que c'était tout simplement une bonne idée." Le fil s’est déroulé, il a évolué et, pour les 20 ans de sa marque, Vanessa lance six collections de bijoux fins et accessibles, dans des styles différents et complémentaires. Une rose pavée de diamants, emblème de sa marque, a encore récemment été vue sur un fil rouge au poignet de Madonna et de sa fille, "la boucle est bouclée". Une histoire de transmission simple et raffinée. Parfois, la vie est pavée de diamants.

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Vanessa Tugendhaft

Les mains dans le vif du sujet

On connaissait Alix Battard comme présentatrice du journal sur RTL, on la retrouve joaillière d’actualité. Cet été, elle a lancé daŭre ("durable" en esperanto), une marque de bijoux fins, au design ciselé, à la fabrication éthique, avec Julie Cartier, sa complice graphiste. Journaliste depuis dix-sept ans, Alix avait envie d'un projet "plus entrepreneurial, plus créatif". Sa réflexion l’a menée à la joaillerie, dont la passion lui a été transmise par sa grand-mère, collectionneuse de bijoux fantaisie et précieux. "Elle m’ouvrait ses boîtes et ses tiroirs remplis de souvenirs, et ses récits, liés à chaque pièce, me fascinaient." En enquêtant – réflexe professionnel –, elle a découvert les diamants de synthèse, "révolutionnaires, qui sont encore peu connus en Europe. Nous travaillons aussi avec de l’or recyclé". Alix et Julie apprennent le métier ensemble, grâce à un diamantaire anversois qui leur a ouvert ce marché a priori réservé aux initiés. "Nous aimons les bijoux issus d’un savoir-faire, pas forcément coûteux, et nous avons en commun une passion pour l'architecture. Influencée par le modernisme, j’avais envie d'épure, de lignes claires, de formes géométriques, de courbes et d'angles parfois contraires, qui contrastent et se complètent." Et comme la vie ne ressemble pas toujours à la télé mais parfois aussi au cinéma, c’est là qu’une autre vocation précieuse est née.

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Julie Cartier et Alix Battard

Un lien d’éternité

Enceinte, travaillant sur un plateau de cinéma, Oriane De Munter, alors accessoiriste, a décidé de changer de destin (et surtout d’agenda). Réfléchissant à une autre carrière liée aux accessoires et aux scénarios de vie, elle a entrepris une formation à l'Institut de la Parure et de la Bijouterie. Son concept phare: l’Embrace, une chaîne en or 18 carats soudée à même le corps, virtuellement éternel puisque pour l’ôter, il faudrait la casser. "La soudure est aussi la fermeture la plus sécure et la plus symbolique, la plus pure." Oriane offre une expérience authentique, qui touche à l'âme et à la peau. "La bijouterie, c'est toujours des histoires d'amour." Les chaînons sont soudés à l’arc électrique, assez loin de la peau tout de même, sans douleur évidemment. Une onde positive et une onde négative se rencontrent et fusionnent le métal, s’embrassent pour créer un infini. La jeune femme inaugure cet automne un nouvel atelier luxueux et lumineux place Brugmann, et propose aussi des bijoux sur mesure: elle travaille la perle baroque, les pierres précieuses, les éclats de coquillages polis qu'elle mêle aux émeraudes ou aux diamants. Tout peut s’assembler, du moment que les êtres restent soudés.

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L’amour en héritage

Autre lien indéfectible parce que c’est celui du sang, la fusion des talents de Laurence van Cauwenberghe et Ghislaine Holvoet a accouché de la marque Mère & Fille. Lorsqu’elles ont créé ensemble leur maison de joaillerie en 2014, l’une était mère au foyer, la seconde était fraîchement diplômée du Gemological Institute of America avec une spécialisation en diamants et pierres de couleurs. Leur élément déclencheur ? L’achat par erreur d’un saphir de synthèse au lieu d’une pierre naturelle. Passionnée par le sujet, Ghislaine s’est formée et spécialisée dans la gemmologie, pour qu’on ne l’y reprenne plus. Logiquement, leurs facettes se sont répondues en miroir. Ensemble, elles ont commencé avec des réparations de bijoux et la création de bagues de fiançailles pour leur entourage: les amis de Laurence se mariaient tandis qu'autour de sa mère, une autre génération de clientèle commençait à vouloir faire transformer des bijoux anciens ou hérités. Mère et fille reçoivent en "chambre fermée" dans la maison familiale à Tervuren, dans un cadre intime et sécurisé qui offre un sentiment d'exclusivité. Pour commander aussi des pièces de création pure, bijoux affectifs et attachants, forcément.

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