Carte blanche : "La dernière Fashion Week de Paris me laisse un goût amer, voici pourquoi"
Styliste, directrice artistique, mais aussi créatrice de contenu... Loudmilla multiplie les casquettes. Passionnée de mode, elle partage aujourd'hui son ressenti sur la dernière Fashion Week printemps-été 2023... un bilan pas forcément positif.
Après un mois bien mouvementé pour la mode, j’avais envie de me poser et d’analyser ce que j’ai retenu. Qu’ai-je réellement appris ou apprécié durant cette période ? Entre des shows à connotation d’extrême droite et d’autres misant sur l’effet sensationnelle, je clôture cette Fashion Week de Paris avec un gout d’amertume.
Tout d’abord, après les discours de certaines marques sur l’envie de ralentir, voir de se retirer du calendrier de la mode après la pandémie, je m’attendais à voir moins de shows ou des shows avec un réel message. Mais ce fût tout l’inverse pour certains d’entre eux. Je pense que ces dernières saisons et années, beaucoup d’entre nous avons compris que le rythme infernale de ce milieu n’était plus pertinent. Et cette saison, j’ai eu la preuve que beaucoup de designers ne savent pas où ils vont, ou du moins, n’arrivent pas à nous faire comprendre leur démarche. Rappelons nous que lorsque la pandémie était à son apogée, Saint Laurent avait fait une déclaration surprenante mais aussi encourageante. Anthony Vaccarello avait posté sur Instagram le 27 avril 2020 : "Aujourd’hui plus que jamais, la marque contrôlera sa périodicité et légitimera la valeur du temps, à son rythme, tout en privilégiant le rapport aux personnes et à leur quotidien. De ce fait, Saint Laurent ne présentera pas ses collections dans les cadres des calendriers officiels de l’année 2020. Saint Laurent décidera de son agenda et ses lancements suivront un plan optimisé et guidé par les besoins de la créativité." Je dois donc avouer que j’étais étonnée de voir que depuis 3 saisons déjà, Saint Laurent présente sa nouvelle collection au même rythme qu’avant.
La maison a organisé son défilé face à la Tour Eiffel avec des silhouettes iconiques, des talons toujours plus sexy, des robes longilignes et transparentes à la fois, et beaucoup de silhouettes élégantes et sensuelles. Un travail impeccable sur les coupes des vestes en cuir courtes comme longues. Des épaules prononcés, des couleurs chaudes et noir avec un accent sur des gros bijoux et des sandales à talons avec un cuir quasi inexistant qui crée un effet de pieds nus en hauteur. Mais malgré toutes cette opulence, je n’ai pas pu m’empêcher d’être choquée de la maigreur de certaines modèles. J’ai observé au fur et à mesure du show des modèles beaucoup trop minces. Des femmes, certes belles, mais qui ne reflètent pas la société dans la quelle nous vivons. D’ailleurs, Saint Laurent n’était pas le seul défilé qui m’a choquée à ce sujet, le défilé de Ludovic de Saint Sernin m’a aussi interpellée. J’ai apprécié voir des silhouettes nouvelles comme la jupe à couture apparente avec un travail de lacets qui a été déclinée aussi bien en jupe qu’en robe. Mais j’ai aussi remarqué que le casting était dans le même esprit que Saint Laurent. Cette saison, j’espérais voir Ludovic de Saint Sernin inclure un corps curvy dans une de ses robes en cristal Swarovski, mais malheureuse j’ai été déçue de voir un casting au si peu divers dans l’apparence physique. La représentation de la femme d’aujourd’hui ne doit pas être un utopie mais une réalité. Sur les podiums nous devons voir plus de femmes curvy, grosses, petites et réelles autant que des femmes noires, asiatiques et blanches. Je ne comprends pas comment nous pouvons encore accepter cela dans un milieu qui influence et inspire une tranche d’âges de plus en plus jeune.
Comment est-ce possible que les plus petits designers, comme Maison Cléo ou Ester Manas créent des défilés inspirants avec une représentation réelle de la femme dans toutes ses formes, mais que de plus grands designers ne font pas de même ?
Sur un autre point, plus dans la frustration que la déception, le manque de diversité dans les invités devient de plus en plus problématique. Pendant plusieurs années nous avons vu des front row peuplés de personnalités plus informées et au cœur de la mode. Mais ces derniers temps, j’ai remarqué que les front row étaient composés majoritairement de célébrités, d’influenceurs/euses ayant un grand nombre de followers ou encore les buyers. Ce que je peux comprendre, mais qui m’interroge. Car nous savons que les personnes qui écrivent et critiquent les collections sont les fashion editors, les journalistes ou stylistes qui, à présent, ne sont plus en front row pour la plupart. Pourtant c’est bien à eux que nous demandons d’offrir des contenus mode pertinents et engagés. Si on ne leur donne pas l’occasion ou la possibilité de voir une collection dans des conditions optimales, ne nous étonnons pas qu’il y ait désormais une majorité d'éditoriaux plat et sans story telling.
Je pense que le plus étonnant de cette saison, était l’effet sensation. Certains designers ont beaucoup misé sur cette idée. Cela a fini par créer un effet de compétition pour déterminer qui aura le show qui buzzera le plus sur la toile. Et je ne dis pas que ce n’est pas une stratégie intelligente, mais parfois, le buzz a pris le dessus sur la collection en elle-même. Pourquoi faire le buzz sur un élément précis du show, si au final, la collection, les vêtements, qui sont quand même la raison principale d’un défilé, sont complètement oubliés. Cependant, certains designers ont présenté une collection à la hauteur de ce buzz tandis que pour d’autres, j’ai eu l’impression que le buzz recherché permettait peut-être de cacher les lacunes de leur collection.
J’ai notamment adoré voir la réflexion de fabrication d’une robe faite sur mesure grâce à une technologie à la pointe ! Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer, le duo derrière Coperni, nous ont tous surpris et fait comprendre que leur obsession de la technologie reste l’inspiration première de leur marque. Mais j’ai aussi vu pas mal de details et de nouvelles silhouettes dans toute la collection. Comme des jupes et robes fluides avec des découpes et des détails intéressants. Je pense notamment à la robe blanche que portait Adut Akech et une jupe avec une coupe année 2000 mais accompagné d’un détails assez curieux, à l’arrière de la jupe porté part la modèle América González. On aperçoit un veston de costume qui pend comme si le veston faisait partie de la structure de la jupe ou que l’on peut porter pour avoir comme résultat une robe. Enfin les silhouettes florales de Coperni m’ont réellement interpelée, parce que malgré tous mes efforts fournis pour savoir quel type de tissu a été utilisé pour créer cet effet presque robotique, je n’ai toujours pas la réponse. Lorsqu’un designer titille ma curiosité, alors mon admiration pour lui devient d’autant plus grande. L’ensemble de la collection était tout aussi intéressante que les 2min31sec durant laquelle deux hommes ont crée une robe en projetant une sorte de peinture sur Bella Hadid. Une vraie performance mode comme je les aime.
Ensuite, je pense que nous n’avons pas assez parlé du défilé Balmain qui était à mon avis un défilé unique comme seul Olivier Rousteing sait les faire. Non seulement il a pu donner accès au défilé à tellement de personnes passionnées de mode, des personnes qui ne travaillent pas forcément dans ce milieu, mais qui en rêvent ou sont de grandes admiratrices ou des jeunes étudiantes. Si je me rappelle bien, la seule personne qui ait fait quelque chose dans la même approche à Paris pour une grand maison ces derniers années, c’est Virgil Abloh lors de son premier défilé pour Louis Vuitton homme printemps-été 2019. Non seulement Olivier Rousteing a créé un moment unique de partage et de passion, mais sa collection était incroyable. Des robes et des silhouettes volumineuses, avec un travail fou sur les textures, les tissus et les détails. J’ai eu l’impression de voir de la haute couture. Et je pense que ce genre de défilé, nous en voulons davantage. Des défilés qui inspirent réellement et montrent un savoir faire unique tout en invitant quiconque qui le désire à faire partie du milieu de la mode !
Dans cet air d’innovation mais avec en plus une légèreté playful, j’ai beaucoup aimé Louis Vuitton. Je le dis souvent à mes amis, Nicolas Ghesquière est un de mes designers préférés, il ne suit jamais les tendances et impose ses propres codes. Il a su une fois de plus me surprendre avec un travail en XXXL sur tous les détails que l’on oublie. Du zip, jusqu'au tag de la valise, en passant part les boutons et les chaines... je trouve qu’il a associé l’humour et le savoir faire des couturiers/ières d’une maison de couture comme Louis Vuitton. Je vois ça comme une façon de nous faire comprendre qu’il ne faut pas toujours réinventer les choses mais plutôt mieux les voir.
Quant aux designers qui n’ont pas buzzé, nous avons eu droit à des collections ni extra, ni mauvaises. Des silhouettes que nous connaissons qui ont été retravaillées. Certains designers comme Miuccia Prada pour Miu Miu ou encore Virginie Viard pour Chanel et Ann Demeulemeester ont été fidèles à leur travail. Un travail toujours en profondeur et fidèle à leur ADN. Je voudrais aussi relevé le travail incroyable de Jonathan Anderson pour Loewe, un travail qui se veut moderne et surtout pertinent par rapport au monde dans laquelle nous vivons et ses problématiques. J’ai aussi eu le même sentiment chez Comme Des Garçons, un designers qui ne suit aucun code et qui fait des silhouettes parfois importables. Chez Loewe et Comme Des Garçons, ce qui compte, c’est la dimension artistique et politique avant tout.
Je ne citerai pas les collections tellement simples qu'elles seront oubliées le mois prochain. C’est l’effet Swipe que nous connaissons tous et toutes. L’idée de voir quelque chose qui sera oublié à la seconde d’après comme notre consommation abusive d’images plus ou moins cool sur Instagram ou maintenant TikTok. Alors, la question que je me pause, c'est pourquoi continuer à faire des collections sans réelle démarche ? Les fans de mode et de la Mode avec un grand M, veulent moins de collection mais plus d’engagement et de réflexion. Au final la réponse est simple : notre système capitaliste. Car à la fin de journée, la mode est un business qui doit tourner et générer de l’argent. Pour cette raison, les designers n’ont d’autre choix que continuer à créer encore et toujours de nouvelles collections. Mais comme on dit souvent, pour enclencher un changement, il suffit d’un geste, d’une personne. Si une grande maison montre l’exemple et qu’elle impose un rythme de création plus pertinente et en alignement avec une société plus engagée, alors les autres suivront.
La nouvelle génération, aussi appelée la génération Z, affirme la volonté de repenser une société plus informée. Elle nous demande de prendre des décisions plus à l’écoute de la planète sur laquelle nous vivons et de ces citoyens. Cette volonté de changer s’applique sur des problématiques économiques, sociales et écologiques. La mode ne doit pas en faire l’impasse. Alors nous nous devons de respecter ces demandes et plus important encore, nous nous devons d’avoir une mode plus engagée sur chaque aspect, durant chaque saison !